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  • Professeur particulier de français en Allemagne, à Berlin, j'ai créé ce blog afin de vous aider à enrichir vos connaissances en littérature et de vous apporter des outils pour progresser.
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23 janvier 2021

La Préciosité au XVIIème siècle

Influence

La Préciosité, bien que de courte durée, est un courant qui a eu une grande influence au XVIIème siècle et au cours des siècles suivants. Les précieux ont développé des idées avant-gardistes sur l’amour, le mariage, l’éducation, l’influence des femmes dans la société.  

 

Origines 

Au Moyen Age, la « querelle des femmes » est un débat d’idées concernant la place de la femme dans la société et son éducation. 

Des femmes ont écrit au cours du Moyen Age et de la Renaissance :

     Marie de France (fin du XIIème siècle),

     Christine de Pisan (fin du XIVème siècle),

     Marguerite de Navarre (1492-1549),

     Louis Labé (1526 – environ 1566).

 

Au XVIIème siècle 

La société du XVIIème siècle a oublié ces écrivaines ou plutôt ces autrices ou « autrix » comme on le disait au Moyen Âge. Le terme « autrix » apparait dans les œuvres de femmes illustres comme  Hildegard von Bingen, Hrotsvita de Gandersheim, Guda, Ende... Il se répand au XVIème siècle, mais il est finalement proscrit par l’académicien Guez de Balzac au XVIIème siècle.  

L’idéal de l’amour courtois avait été créé pour compenser la brutalité des chevaliers ; la femme était alors considérée comme une créature du Diable responsable des souffrances humaines.  

Au XVIIème siècle, l’amour courtois n’existe plus, mais cette vision de la femme n’a pas changé. En matière d’éducation, les jeunes filles, considérées comme sottes par nature, ne peuvent lire que des ouvrages religieux, apprendre des chants religieux, des prières et les bonnes manières. Elles sont parfois mariées à des hommes âgés. 

« Ces dames ne sont pas les compagnes, mais les esclaves de leurs maris. Ceux-ci, par ruse masculine, défendent à leurs femmes de lire jamais d'autres livres que ceux qui servent à prier les dieux. » Melle de Scudéry 

« Ce qu'il y a de rare, dit encore Melle de Scudéry, est qu'une femme, qui ne peut danser avec bienséance que cinq ou six ans de sa vie, en emploie dix ou douze à apprendre continuellement ce qu'elle ne doit faire que cinq ou six ; et à cette même personne, qui est obligée d'avoir du jugement jusqu'à la mort et de parler jusqu'à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du tout qui puisse ni la faire parler plus agréablement ni la faire agir avec plus de conduite. Vu la manière dont il y a des dames qui passent leur vie, on dirait qu'on leur a défendu d'avoir de la raison et du bon sens et qu'elles ne sont au monde que pour dormir, pour être grasses et pour ne dire que des sottises. »

 

Développement de la préciosité

Au début du XVIIème siècle, la préciosité a gagné de nombreux pays d’Europe :

    En Angleterre, John Lily lance l’euphuisme avec son œuvre Euphues (1579-1581) où abondent l’érudition, les ornements, le maniérisme de la forme.

       En Italie, le cavalier Marin lance le marinisme avec l’Adone, un poème de 40 000 vers qui raconte l’histoire d’Adonis et de Vénus. Cette œuvre contient une profusion d’images, d’antithèses, de « concetti » appelés pointes en France.

       En Espagne, Gongora avec son style obscur, donne naissance au gongorisme.

 

En France, en Italie et en Espagne se forment des cercles mondains et intellectuels. 

L’absolutisme monarchique se met en place sous le règne d’Henri IV. Le pouvoir économique et le pouvoir politique passent entre les mains de la bourgeoisie. Les aristocrates deviennent oisifs car ils ne peuvent plus se livrer aux activités guerrières. Sont alors rédigés des ouvrages dans lesquels les hommes sont au service des femmes : le plus connu est L’Astrée d’Honoré d’Urfé. 

A début du XVIIème siècle, une intense vie mondaine se développe à Paris. Des personnes cultivées, trouvant la cour d’Henri IV trop grossière, prennent l’habitude de se réunir régulièrement. La vogue des salons nait alors. 

Des femmes d’exception apparaissent. Elles vont changer la vision de certains hommes. On les nomme dans les années 1650 les précieuses.  Elles tiennent des salons :

     La reine Christine de Suède (1626-1698) s’entoure de savants dont Descartes, philosophe et mathématicien.

     Anne-Marie Schurmann, peintre, sculptrice, philosophe, parle grec, arabe, hébreu et plusieurs langues européennes

   Madeleine de Scudéry (1601-1677) romancière française.  Chaque volume des longs romans qu'elle publiait était attendu avec curiosité ; ses ouvrages étaient commentés et discutés dans les ruelles et à l'hôtel de Rambouillet. Mme de Sévigné et Mlle d'Aubigné (la future marquise de Maintenon), dissertèrent à leur sujet. De son côté, Melle de Scudéry admirait Mme de Sablé. Mme de Sablé  prônait la galanterie espagnole qui a influencé la naissance de la préciosité.

     La marquise de Rambouillet que l’on appelait « l’incomparable Arthénice » (anagramme de son prénom, Catherine)

     Mme de Montpensier

     Mme de la Suze

 « Il y a une nature de filles et de femmes à Paris que l’on nomme Précieuses, qui ont un jargon et des mines avec un démanchement merveilleux. » Lettre du chevalier de Sévigné, 3 avril 1654.

 

Attention

On oppose la précieuse à la coquette et à la prude.

La prude est une femme qui montre son attachement à l’ascétisme et se montre dévote dans un monde qui au contraire prône l’affranchissement de l’individu et croit au bonheur terrestre.

La coquette cherche à plaire à autrui par sa tenue vestimentaire et ses bijoux.

Au XVIIème siècle, les hommes sont influencés par les Caractères de Théophraste. Pour eux la prude et la coquette sont des types.

 

La vie dans les salons 

Les femmes de la noblesse invitent les hommes à fréquenter leurs salons. C’est le cas de Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet (1588-1655) et de ses filles, Julie d’Angennes et Angélique. On s’y livre à des divertissements littéraires :

      bouts-rimés (On proposait un sujet ainsi que des rimes imposées ; les poètes devaient par exemple composer 25 sonnets sur la mort d’un perroquet),

      énigmes en vers,

      épigrammes,

      lettres,

      rondeaux,

      sonnets.

 La préciosité va dominer le monde culturel de manière intense de 1650 à 1660. 

Les femmes préfèrent être courtisées et repoussent le mariage : Julie d’Angennes attendra quatorze ans avant d’accepter d’épouser Montausier. 

On débat sur toutes sortes de sujets scientifiques. 

Cette période est très riche intellectuellement : Colbert  fonde l’Académie des sciences en 1666. Ses travaux sont publiés. Le poète Chapelain fait installer un télescope dans sa bibliothèque. 

 

Caractéristiques de la préciosité 

L’activité favorite des précieux est la conversation : ilscherchent à se distinguer par le brillant de la conversation. Ils l’établissent comme un art régi par des règles : ne pas ennuyer, ne pas être pédant, rechercher l’élégance. 

Ils abusent des périphrases pour éviter les mots bas ou vulgaires, pédants ou anciens :

  • le miroir est « le conseiller des grâces »,
  • la fenêtre : « la porte du jour »,
  • les yeux : « les miroirs de l’âme »,

Ils utilisent beaucoup

  • de superlatifs : effroyablement, furieusement, horriblement, dernier,
  • d’hyperboles,
  • de pointes  (l’art de la pointe consiste à clore  un poème ou un portrait par un trait brillant et inattendu),
  • de métaphores.

Les précieuses ont enrichi la langue de mots nouveaux : féliciter, anonyme, bravoure, pommadée, incontestable, enthousiasmer. 

Dans les salons précieux, comme dans tous les salons de Paris, règne la galanterie qui convie à exprimer les sentiments de manière raffinée. L’Amour est au centre de la préciosité. Pour les précieux, il s’agit d’un sentiment pur et idéalisé par lequel on célèbre la femme, parfaite et inaccessible. Le langage et les manières sont raffinés par opposition à la cour d’Henri IV, gasconne et grossière. 

Les précieux souhaitent l’émancipation de la femme par le célibat, le droit au divorce, le mariage à l’essai, l’espacement des maternités, l’égalité des sexes.  

Les précieux cherchent à se distinguer par leurs vêtements. Ils influencent la mode. 

Dans la Querelle des Anciens et des Modernes, les salons précieux font partie des Modernes. 

 

Fin de la préciosité et influence

À la fin des années cinquante, on se moque de la préciosité. L'abbé de Pure écrit la Précieuse ou le Mystère des ruelles et Molière écrit Les Précieuses ridicules en 1659.

 

Attention : toutes les femmes, au XVIIème siècle, ne sont pas instruites, même parmi les personnes distinguées. Bien au contraire. L’orthographe de Mme de Sablé était déplorable.

 

Les auteurs comiques et satiriques ont ridiculisé les femmes instruites, Molière s'est moqué des femmes savantes et des précieuses ridicules ce qui a donné au plus grand nombre l’impression que toutes les femmes au dix-septième siècle n’étaient que des Philaminte et des Bélise. Mais loin de se contenter de se moquer, Molière s’est surtout inspiré d'un phénomène littéraire à la mode. Il a mis en scène les « grands débats en cours dans les milieux éclairés, sur le statut intellectuel et conjugal de la femme, sur sa place dans la vie mondaine et dans la vie littéraire, sur son droit à la parole et à influencer le langage » comme l’écrit Roger Duchêne. Molière se moque surtout des provinciales qui imitent maladroitement les vraies précieuses de Paris.

La préciosité a influencé le classicisme qui en conservera les bienséances, l’analyse des sentiments, la recherche de la perfection du langage. 

Ce qui distingue les salons précieux des autres salons est qu’ils ont été avant-gardistes. Les idées qu’ils ont défendues se sont répandues à la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle :

  • Ils ont rejeté les pédants et la pédanterie. 
  • Dans la Clélie, Melle de Scudéry se moque de l'éducation trop savante qui ne forme que des érudits et de l'éducation frivole qui ne donne que des poupées. 
  • Les précieuses distinguent l’amour et le mariage : elles reprochent à la majorité des unions de leur temps de se fonder sur des considérations de fortune et de nom. Pour les Précieuses, il n’y a amour que lorsqu’il y a liberté. « Quand l’Amour occupe une âme, il l’occupe toute. Il est pur, il est vif, il est agissant… Le plaisir de l’Amour, c’est l’Amour. Aimer pour aimer, c’est le terme de l’amour. » Mme Pélissary, Portrait du pur Amour, 1687. Elles accordent beaucoup d’importance à la notion d’amitié. Elles désirent détacher l’amour de la sensualité. Dans L’Ecole des femmes, à travers Arnolphe, Molière ridiculise une conception particulière de la vie et de l’amour, celle qui consiste à empêcher une femme de s’épanouir et d’être libre de choisir son futur mari. La bourgeoisie n’était pas favorable à l’émancipation des femmes. Les discussions des cercles précieux portent d’ailleurs sur l’autorité des pères, des maris, sur l’amour et ce désir de lutter contre les entraves familiales. 
  • Les Précieuses mettent en avant la raison et portent un jugement en se fondant sur la raison et non sur les règles établies.

 

Quelques citations 

« La beauté, dit l'une des héroïnes de la Clélie, est notre partage ; on en conclut que nous sommes dispensées de la peine d'apprendre les sciences et les arts, que l'ignorance en nous n'est point un défaut, et qu'il ne faut qu'un peu d'agrément, un médiocre esprit et beaucoup de modestie pour faire une honnête femme. Cependant je suis persuadée que les femmes sont capables de toutes les grandes vertus et qu'elles ont même plus d'esprit que la plupart des hommes. En effet, si l'on observe soigneusement les hommes et les femmes aux endroits où leur éducation est presque égale, comme à la campagne, vous trouverez qu'il paraît beaucoup plus d'esprit aux femmes qu'aux hommes, et qu'il faut de nécessité conclure que la nature ne nous a pas plus mal partagées que d'autres. »

 

« J'ai connu, écrit Melle de Scudéry, un homme qui savait aussi bien qu'on peut le savoir la situation et le cours des astres, qui connaissait les simples admirablement, qui avait remarqué que le sel d'Agrigente durcit à l'eau et fond au soleil, qu'il y a en certains pays des fourmis qui sont comme des éléphants: qui parlait très bien de l'arc-en-ciel, qui savait jusqu'aux particularités de l'amour des crocodiles, et qui pourtant était un sot homme! Il savait cent mille choses qui n'étaient pas nécessaires, ne savait pas que sa femme était une coquette, était très ignorant en la morale et en l'art de vivre à propos dans le monde, qui est mille fois plus nécessaire à savoir que l'amour des crocodiles. »

 

Mlle de Scudéry aurait voulu que l'éducation de l'homme et de la femme soit « très éthérée et très solide ». 

 

La carte de Tendre a été créée à cette époque. Elle est inspirée par la Clélie de Madeleine de Scudéry. Il s’agit d’une représentation allégorique des rapports sentimentaux qui résume la conception précieuse de l’amour. 

"On s'embarque sur la Rivière de Confidence pour arriver au Port de Chuchoter. De là on passe par Adorable, par Divine, et par Ma Chère, qui sont trois villes sur le grand chemin de Façonnerie qui est la capitale du Royaume. A une lieue de cette ville est un château bien fortifié qu'on appelle Galanterie. Ce Château est très noble, ayant pour dépendances plusieurs fiefs, comme Feux cachés, Sentiments tendres et passionnés et Amitiés amoureuses. Il y a auprès deux grandes plaines de Coquetterie, qui sont toutes couvertes d’un cote par les Montagnes de Minauderie et de l’autre par celles de Pruderie. Derrière tout cela est le lac d’Abandon, qui est l’extrémité du Royaume.  

« Le Royaume d’Amour est situé fort près de celui des Précieuses. C’est une contrée fort agréable, et où il y a de la satisfaction de voyager, quand on en sait la carte en perfection et qu’on n’est point en hasard de s’y fourvoyer. Il s’y trouve quelques mauvais passages qu’on ne saurait éviter; mais comme on se représente qu’il n’y a nul bien sans peine et que les plaisirs succèdent souvent aux douleurs, on se console facilement. Afin qu’on ne manque point aussi de conseil, voici une bonne guide des chemins que je vais vous donner. »

 

 « Ne pas faire le bien ou le mal pour la récompense, l'œuvre d'art en vue de l’action, l’amour pour de l’argent. Mais l’art pour l’art, le bien pour le bien et le mal pour le mal, l’amour pour l’amour, la vie pour la vie. » Gide, Journal.

Melle de Scudéry et les siens auraient approuvé ce texte quiétiste écrit par Gide. Les précieux étaient des idéalistes qui préféraient les valeurs romanesques à la réalité plate. Ils voulaient se libérer de tout ce que la vie avait d’ennuyeux, de banal, de vulgaire. L’amour dont ils parlent est absolu et irréel.  Le monde dont ils rêvent touche à la perfection, à l’utopie.

 

Une fiche : La_preciosite qui reprend les explications données ci-dessus.  

 

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